La médiation citoyenne dans les favelas de Belo Horizonte au Brésil




Une initiative née de l’engagement d’universitaires sur le terrain

Dans la province brésilienne du Minas Gerais, la Faculté de Droit de l’Université Fédérale (UFMG) mène depuis 1995 un programme nommé les Pôles de Citoyenneté. Ce programme a pour objectif principal de permettre aux populations exclues du point de vue socio-économique de défendre leurs droits et leur place de citoyens, en encourageant l’action collective, en s’appuyant sur les organisations et mouvements d’habitants.

Interdisciplinaire et inter-institutionnel, ce programme adopte la méthodologie de la recherche-action, basée sur la relation permanente entre des activités de terrain et la recherche scientifique.

Au travers de la mise en place d’un Centre de Médiation et Citoyenneté (CMC), le programme Pôles de Citoyenneté a permis d’aborder la question de l’exclusion sociale dans ses multiples dimensions : accès à la terre, prévention de la violence familiale, éducation, développement économique, accès au droit et à la justice.

La naissance du Centre de Médiation et de Citoyenneté

Au début des années 2000, le programme Pôles de Citoyenneté s’est penché sur une favela locale nommée Conjunto Felicidade - un des plus grands bidonvilles de Belo Horizonte, capitale du Minas Gerais. Le diagnostic social réalisé révélait une demande de la part de la population spécifiquement liée à la question de l’accès à la justice.

Orchestré par l’Université Fédérale du Mina Gerais (UFMG) avec le soutien de la population locale et en partenariat avec le Gouvernement d’État, un « projet pilote » de médiation de conflits a donc été mis en place dans la région.

Pendant une période de dix mois et, malgré la tendance de la population à marginaliser la médiation par rapport aux voies judiciaires classiques, le CMC a reçu plus de 500 demandes, qui concernaient les thèmes les plus variés, juridiques ou non juridiques, sur des questions collectives et/ou individuelles. Il s’agissait de conflits entre citoyens et institutions publiques, entre citoyens et organisations communautaires, entre les citoyens eux-mêmes, entre des associations et l’État, etc. La majeure partie des demandes portait sur le droit de la famille (pension alimentaire, divorce, paternité etc.), le droit du travail (heures supplémentaires, vacances ; sécurité sociale etc.), le droit des contrats et sur les conflits de voisinage et intrafamiliaux.

Les objectifs du CMC

Le CMC vise à proposer un espace de dialogue et de mobilisation par le biais de la médiation dans des zones de favelas de Belo Horizonte marquées par la dégradation et l’exclusion sociale.

Le CMC ne perçoit pas seulement la médiation comme une forme de résolution alternative de conflits visant à désengorger l’appareil judiciaire mais aussi comme un moyen d’encourager la prise de conscience et l’action des organisations et des habitants autour des questions qui les concernent.

L’action du CMC vise ainsi à créer des mécanismes pour faciliter la participation des personnes dans les processus de résolution des conflits. Le but étant de permettre aux citoyens, individuellement et collectivement, de passer de la situation de « consommateurs » de droit qui leur est normalement assignée à celle de co-auteurs des solutions au cas par cas. En s’appropriant le conflit et en devenant co-auteurs de leurs propres normes, les citoyens peuvent comprendre la notion de droit que chaque partie en présence apporte au processus de médiation. Dévoiler et partager ces différents imaginaires normatifs permet de donner plus de légitimité aux décisions.

Dans la sphère publique, le CMC prétend donc soutenir la mise en œuvre d’une nouvelle culture, celle de la démocratie au quotidien, où l’action citoyenne ne se résume pas au droit de vote, mais se renforce par la participation active de la communauté à la vie du quartier et de la ville. La problématisation collective de la question de l’accès à la justice fait partie de ce changement envisagé.

Dans la sphère privée, le CMC souhaite contribuer à ce que les personnes communiquent le mieux possible entre elles, dans l’objectif d’améliorer la qualité de tels échanges vers un comportement de moins en moins belliqueux et plutôt de collaboration mutuelle. En améliorant la communication entre les habitants, les médiateurs invitent les parties à souscrire à des règles de base du processus de médiation telles que la non-interruption, la non-utilisation de mots insultants ou l’écoute active.

La méthodologie de la médiation citoyenne

L’action du CMC est basée sur deux axes distincts : la médiation vouée à la résolution de conflits et la médiation communautaire (dans le sens de médiation associative ou sociale). La première s’adresse à des individus en conflit, alors que la deuxième entend collectiviser les demandes qui sont, en principe, individuelles, pour fédérer la solidarité de toutes les personnes autour d’un problème qui leur est éventuellement commun. Ainsi, des questions individuelles présentées au CMC peuvent prendre une dimension collective et plusieurs acteurs de droit y sont engagés. Des thèmes comme la violence domestique ou la grossesse précoce peuvent être traités comme des questions collectives, puisqu’elles atteignent une frange assez large de la population des quartiers concernés.

La médiation communautaire mise aussi sur la création et le développement de réseaux de coopération entre les associations locales, afin de promouvoir la mise en œuvre d’initiatives et la création de mobilisations autour de thèmes cruciaux pour la communauté.

Avec les associations de voisins ou les groupes culturels, l’équipe de la médiation communautaire mène aussi des actions pédagogiques et dispense des cours de droit du travail ou de droits fondamentaux, organise des événements culturels comme du théâtre de rue ou des conférences-débats sur des thèmes choisis par les habitants en fonction de leurs intérêts et priorités.

L’équipe de travail du CMC est constituée de professionnels venus de champs disciplinaires divers comme le droit, l’action sociale et la psychologie. L’équipe est formée à la médiation et à l’animation de collectifs afin de contribuer à encourager la population à exercer une citoyenneté active face au manque d’accès aux services de base et à la violation systématique des droits fondamentaux.

Pour accomplir ces objectifs, le CMC utilise les principes généraux de la médiation tels que la neutralité, l’impartialité, le tiers indépendant, l’écoute active et la confidentialité. A ces principes, les médiateurs ajoutent le concept de « demande », qu’elle soit collective ou particulière : cela veut dire que les actions des professionnels engagés dépendent en permanence de l’intérêt et du niveau d’engagement de celui qui a amené cette demande. Il n’y a aucune contrainte de la part des professionnels pour que les citoyens arrivent jusqu’au bout du processus. Les parties en ont la totale responsabilité. Dans ce processus de changement culturel, la médiation ne vise pas à s’opposer aux services judiciaires traditionnels, mais compte donner un pas de plus vers l’empowerment de la population.

Le pari de l’autonomie citoyenne

L’attitude de l’État vis-à-vis des populations pauvres renforce plutôt leur dépendance envers les institutions qui les considèrent comme des clients souvent insatisfaits et toujours demandeurs des services proposés. Pourtant, il est possible de trouver dans les favelas des initiatives absolument indépendantes et originales, dans les champs de la culture, du loisir, de l’éducation ou de la formation technique.

En s’appropriant un espace laissé depuis longtemps vide par les structures administratives, les communautés développent des liens de solidarité sociale pour trouver des solutions et des réponses à leurs besoins. Elles improvisent une grande et innovante médiation. Autour d’identités établies soit par l’appartenance religieuse, associative, esthétique ou politique, les populations exclues se créent des règles et se donnent des alternatives, dénonçant l’abîme entre le droit promulgué de l’extérieur par l’État et le droit vécu concrètement dans la réalité. C’est donc dans ce contexte parfois ambigu et contradictoire, où des actions privées et publiques s’entremêlent, mais où les citoyens demeurent comme des otages d’un pouvoir institutionnalisé négligent, que le CMC essaie de contribuer à la consolidation de la participation et de l’autonomie citoyenne.

Après l’expérience pilote du CMC - Conjunto Felicidade, deux autres centres ont été inaugurés en 2003 dans les zones d’exclusion sociale de la ville. Ils ont aussi été le résultat d’un diagnostic initial mis en œuvre par le Programme Pôles de Citoyenneté et l’engagement postérieur de la communauté locale et de l’État.

L’expérience a été tellement fructueuse qu’en 2006, le Gouvernement d’État du Minas Gerais a adopté formellement la médiation de conflits comme directive de sa politique publique d’accès à la justice. En conséquence, seize autres centres de médiation, situés dans la capitale et dans d’autres grandes villes de l’État, ont été crées.

Contacts :

Centre de Médiation et Citoyenneté, Serra : Rua Bela Vista nº 66, Vila Cafezal, Serra, Cep : 30.250-010

Belo Horizonte - Minas Gerais, Brésil / nucleomediaçãoserra@yahoo.com.br

Centre de Médiation et Citoyenneté, Santa Lucia : Beco Sta Inês nº 30, Aglomerado Sta Lúcia, Cep 30.335-620

Belo Horizonte - Minas Gerais, Brésil / nmcsantalucia@yahoo.com

Programme Pôles de Citoyenneté – Universidade Federal de Minas Gerais : Avenida João Pinheiro . 100 . Prédio I. 6º andar Centro CEP 31080-010, Belo Horizonte - Minas Gerais, Brésil / polosdecidadania@direito.ufmg.br


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Mots-clés Amérique latine - Brésil - Accès au droit - Citoyenneté -

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