Une avocate pas comme les autres

Centre de consultation juridique dans la ville de Rosario




"- Allez Juana ! Raconte-moi donc ce qui t’amène ici !", lance Marcela, avocate au Centre de la Femme, ouvert à Empalme Graneros, un quartier défavorisé de la périphérie de la ville de Rosario, en Argentine. Le centre a été ouvert par INDESO-MUJER (Instituto de Estudios Sociales de la Mujer = Institut d’études sociales et juridiques de la femme) et le même local sert également de centre de santé, grâce aux médecins et aux infirmiers payés par la municipalité de la ville, qui se sont installés ici à l’initiative des femmes de INDESO-MUJER. Dans une petite salle à côté, Liliana, professeur, enseigne à des élèves, garçons et filles d’âges divers, qui ont abandonné l’école pour différentes raisons, mais qui veulent toujours apprendre les rudiments de base qui leur permettront de survivre dans la société. Juana a un problème avec son mari, de qui elle aimerait divorcer, ou peut-être non, elle ne sait pas encore s’il existerait une autre solution. Ils passent de longues périodes, séparés de fait, mais elle continue à vivre dans le domicile conjugal, qui appartient en réalité à ses beaux-parents. Sa relation n’est plus bonne depuis un certain temps déjà. Elle souffre de mauvais traitements psychologiques -son mari l’insulte fréquemment- et lui-même a une petite amie, avec qui il vit quelques jours par mois. Mais Juana a peur que si elle proteste, elle sera obligée de quitter la maison, y laissant ses trois fils de huit, six et cinq ans. Marcela écoute avec attention, avec des gestes qui montrent l’intérêt et une attitude compréhensive. La petite salle où elles se trouvent a plusieurs usages : les gens viennent y chercher le lait en poudre qui, grâce à des fonds de la municipalité, est réparti chaque semaine moyennant la remise d’un coupon ; elle sert de bureau, quand il s’agit de remplir l’un ou l’autre papier ; de salle de réunion, quand le maté circule de main en main et que l’on discute des derniers problèmes. C’est mercredi aujourd’hui et, comme tous les mercredis après-midi, la petite salle se transforme en un bureau de consultation juridique pour les femmes du quartier. Comme elles vivent loin de la ville et travaillent tous les jours, qu’elles n’ont pas d’argent, elles peuvent difficilement se permettre de fixer un rendez-vous avec un avocat de la ville, même pour traiter de questions aussi vitales que celles de Juana. Mais ici c’est différent, c’est l’avocat qui se déplace dans les quartiers de la périphérie, comme le médecin fait la tournée de ses malades. Qui, remarquant Marcela prendre le transport en commun pour rejoindre Empalme, la prendrait pour une avocate ? A Empalme, d’ailleurs, personne ne l’appelle "Maître". Ses "clientes" sont des femmes qui la tutoient durant la consultation juridique et la quittent en l’embrassant, comme il est de coutume en Argentine. Autrement plus important que toutes les formalités qui entourent normalement une consultation juridique classique auprès d’un "savant en droit".Il est essentiel que Juana comprenne quelles sont les voies possibles pour résoudre son problème. Pour cela, Marcela utilise un langage clair, précise la signification de quelques uns des termes juridiques que Juana entendra si elle décide finalement d’entamer une procédure de séparation ou de divorce. En outre Marcela sait comment rassurer Juana quand elle affirme que son mari la traite de folle et qu’elle craint qu’une telle accusation ne détermine le juge à ne pas lui confier la garde des enfants : dans 90% des cas, les hommes accusent leurs femmes de folie, surtout quand elles prétendent ne plus leur être soumises. Il n’y a pas de raisons de s’inquiéter, remarque Marcela, parce qu’une telle attitude fait partie d’un travail de sape contre l’estime que la femme possède d’elle-même et, de plus, une telle affirmation est sans valeur si elle n’est pas accompagnée d’une preuve médicale incontestable. De toute manière, si Juana a besoin de parler à quelqu’un de ses problèmes personnels et de sa perception intime, si elle souhaite être aidée dans sa réflexion avant de prendre une décision et être accompagnée tout le temps durant lequel elle met cette décision en pratique, la psychologue de INDESO-MUJER pourra la recevoir une fois par semaine à Rosario. En réalité, dans quelques mois, de tels entretiens pourront aussi avoir lieu au centre d’Empalme. Mercredi prochain, Juana viendra chercher une citation écrite au Centre, que Marcela aura préparée, proposant au mari de Juana qu’il vienne avec sa femme pour discuter à trois de la situation familiale. Peut-être, par ce premier pas, les choses pourront se résoudre pour le meilleur...


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Mots-clés Accès au droit - Assistance juridique et judiciaire - Avocat - Avocat populaire - Communauté - Droit - Droits au quotidien - Exclusion sociale - Femme - Justice - Permanence juridique -

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