Droits économiques et sociaux et agences d’aide au développement : le cas de l’AID au Honduras




Ramón Custodio, directeur du Comité pour la défense des droits de l’homme au Honduras (CODEH), aborde dans son article, réalisé à l’occasion d’un atelier relatif aux droits de l’homme (Bogota, 1993), le problème de la légalité et de la légitimité du mode d’intervention des agences de développement en général, et de l’AID (Agence Internationale de Développement - affiliée à la Banque Mondiale) en particulier. "Nul n’a jamais douté du paradoxe permanent affiché par de telles structures : donner d’une main ce qu’elles reprennent d’une autre, octroyer des fonds dont l’usage ciblé profite aux industriels occidentaux..." Toutefois, les dénonciations ici portées par l’auteur sont beaucoup plus graves : ces agences de développement - dans le cas présent l’AID - seraient à l’origine de violations incontestables des droits de l’homme. Preuve est faite au travers de deux exemples honduriens révélant que l’appui au Sud et la compassion américaine n’ont de motivation autre que l’intérêt politique et commercial. Une première étude se penche sur le cas bien connu des ZIP (Zones Industrielles de Franchises), paradis industriels des investisseurs occidentaux désireux d’échapper au cadre juridique et fiscal contraignant de leur pays d’origine. C’est en 1975 qu’est légalement défini au Honduras le cadre normatif de ce type d’espace économique, ayant donné naissance au ZIP de San Pedro Sula. En 1992, à l’occasion des élections nord-américaines, le scandale éclate. Il apparaît d’une part que l’AID a soutenu financièrement les investisseurs nationaux, et d’autre part que la grande majorité des investissements de la zone est, en réalité, constituée de capitaux d’industriels américains proches du pouvoir politique des Etats-Unis alors dominé par les républicains. Comment dès lors ne pas corroborer ces deux informations ? Comment ne pas soupçonner le processus corrupteur opéré sous couvert de bienfaisance de l’AID ? Condamnable en soi, ce mécanisme l’est d’autant plus au vue de ses répercussions locales. Tout droit syndical et du travail est prohibé dans le ZIP. La quasi-totalité de la main-d’oeuvre est constituée de mineurs qui travaillent plus de huit heures par jour ... lorsque développement rime avec exploitation. La seconde étude souligne le rôle fondamental joué par l’AID et les USA dans la politique de licenciements massifs opérée au Honduras dans le secteur agricole au nom de la "modernisation". En 1989, une première analyse réalisée sous la direction d’un expert nord-américain conclut à la responsabilité de la réforme agraire dans le retard affiché par le Honduras en matière agricole. La parcellisation des terrains et la multiplication des "minifundios" (petits domaines agricoles) - contraires aux intérêts nord-américains de d’exportation - y sont tout particulièrement dénoncés. Ce document sera utilisé pour la préparation, dès 1990, d’un projet de loi de modernisation et de développement du secteur agricole, selon un modèle d’ores et déjà adopté dans de nombreux pays sud-américains à l’initiative de l’AID. Ce projet de loi remet en cause, non seulement les acquis de la réforme agraire et l’accès des petits agriculteurs aux moyens de production, mais encore les droits indigènes de non-affectation des terres patrimoniales. L’assassinat, en 1991, de Manuel Jesús Guerra, leader du Centre National des Travailleurs Agricoles (CNTC) et principal opposant au projet de loi, va stopper toute résistance et ce malgré les nombreuses actions de sensibilisation organisées par le CODEH. La loi est votée en février 1992 et, conséquence immédiate, les latifundios (grandes propriétés agricoles privées), dont la philosophie d’exploitation n’est plus à démontrer, sont réhabilités et de multiples travailleurs de l’INA (Institut National Agraire), les plus engagés du milieu syndical, sont licenciés. L’AID a ainsi doublement contribué à la violation des droits économiques et sociaux fondamentaux. d’une part en cautionnant la croissance des ZIP : en réalité bénéfiques aux intérêts nord-américains et en fermant les yeux sur les conditions de travail en ces lieux, d’autre part en fournissant au pouvoir hondurien les fonds nécessaires à l’indemnisation des travailleurs licenciés de l’INA tout en contribuant politiquement à l’élaboration de la loi de modernisation pour le développement agricole, responsable de ces mêmes licenciements... Quel est le rôle exact de l’AID ? Dans quelle mesure les agences de développement consti-tuent-elles des instruments politiques au service de leurs dirigeants étatiques ? A l’heure de la notion d’ingérence sans doute est-il temps de s’interroger sur l’honnêteté désintéressée de certains acteurs du développement, et sur les répercussions, plus ou moins directement perceptibles, de leurs interventions.


calle
calle
Mots-clés Droit social - Droits de l’homme - Industrialisation - Légitimité - Réflexion - Réforme agraire - Relation droit/développement -

calle

Site réalisé avec le soutien de la Fondation de France et de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme | Juristes-Solidarités participe à la Coredem | Action soutenue par la région Ile-de-France