L’accès au droit pour les personnes handicapées - Permanence juridique pour les sourds

Fiche rédigée par Anne-Sarah Kertudo (Permanence Juridique pour les Sourds)



La Permanence Juridique pour les Sourds a été créée en 2002 par la Mairie de Paris, sur proposition d’une juriste bilingue français/Langue des Signes Française (LSF), Anne-Sarah Kertudo.


Pourquoi un service spécifique ?

On estime que trois cents mille personnes ne communiquent qu’en Langue des Signes Française. Où peuvent-elles connaître leurs droits et obligations légales ? Qui peut les informer, les soutenir, les accompagner dans une procédure ? Aucun service juridique ne leur était jusqu’alors accessible.

Les sourds eux-mêmes portent parmi leurs premières revendications l’accès à la citoyenneté. Est-on citoyen à part entière lorsqu’on n’a pas accès au droit, à la justice, mais aussi que les politiques ne traduisent pas en langue des signes leurs discours, que la télévision n’est quasiment pas sous-titrée, qu’aucune structure administrative n’est accessible ?

On pensera qu’il est possible de rompre cet isolement grâce à l’écrit. C’est ignorer que la population sourde, privée d’apprentissage de la langue des signes, privée de structure scolaire adaptée, connaît un taux d’illettrisme extrêmement important.

La création de la Permanence Juridique en Langue des Signes a permis d’agir pour que cette population coupée du droit, de l’information, de l’emploi bien entendu, bref, marginalisée au plus haut degré, puisse trouver sa place dans la Cité.

Autour de la Permanence Juridique s’est peu à peu mis en place un réseau de citoyens militants : professionnels de la surdité, professionnels du droit, ou individus motivés.

Le fonctionnement de la Permanence Juridique pour les sourds

Tous les jours, la Permanence reçoit femmes, hommes, jeunes ou retraités, actifs, en recherche d’emploi ou ayant depuis longtemps renoncé à l’emploi, qui viennent se renseigner : comment divorcer ? Comment augmenter une pension alimentaire ? Que faire en cas d’agression ? Pour rédiger un testament, un notaire est-il nécessaire ?

La majeure partie du public ne sait pas lire ou a de grosses difficultés. Ces personnes n’ont accès ni à la presse, ni à la télévision, ni à la radio et sont en plus coupées de l’information quotidienne, celle que l’on reçoit sans même l’analyser, ces multitudes d’éléments qui, additionnés les uns aux autres, nous lient et nous intègrent à notre environnement. De fait, les sourds paraissent souvent ignorants du contexte dans lequel ils évoluent et les questions qu’ils posent sur leurs droits révèlent, pour nombre d’entre eux, cette forte exclusion sociale.

La mission de la Permanence Juridique consiste donc à répondre au point technique soulevé par le problème exposé. Par delà, il faut donner à la personne tous les éléments du contexte qui vont lui permettre de maîtriser la situation dans sa globalité. Ensuite, il s’agit de décrire les solutions possibles pour enfin réfléchir, avec la personne concernée, à la meilleure résolution du problème qui s’offre à elle.

Les interprètes en langue des signes dans les tribunaux

La Permanence Juridique a mis en place des actions visant à faire évoluer le législateur et les pratiques. En effet, il y a encore très peu de temps (la loi a changé en 2005), la Justice n’avait pas l’obligation de faire appel à un interprète en langue des signes lorsqu’une personne sourde était partie à un procès.

On sait pourtant aujourd’hui que la langue des signes est une langue à part entière, au demeurant assez complexe, et qu’on ne s’improvise pas interprète. Mais tout se passe comme si les sourds n’étaient pas de « vrais adultes ». On est habitué à ce qu’un tiers décide pour eux, on est habitué à les écarter au profit d’un « vrai interlocuteur ». Interprète est un métier et ces professionnels, lorsqu’ils se déplacent pour une vacation, mobilisent une demi-journée de travail : cela a un prix.

La loi a changé et depuis 2005, l’interprète est pris en charge par les services judiciaires.

Cependant la loi énumère, pour le pénal, les situations où cette prise en charge est effective. La liste est très restreinte et tout ce qui n’y figure pas ne bénéficie pas de cette largesse administrative. Témoin sourd dans le cadre de l’enquête de police ? Pas d’interprète. Espérons que ce qu’il avait à dire n’était pas trop important.

Enfin, si cette loi a pu être un moment envisagée comme un progrès, c’était sans penser à la cruciale question budgétaire qui constitue sa condition d’effectivité : on propose aux interprètes des sommes dérisoires, payées dans des délais inacceptables qui font préférer aux structures associatives d’interprètes d’autres marchés, bien plus lucratifs. Les interprètes entendent gagner leur vie de manière décente. Ceux qui ont voulu malgré tout rester au service des tribunaux se sont vus réprimandés par les commissaires aux comptes de ces associations qui travaillaient à perte.

Pour faire face à cette pénurie d’interprètes, que fait l’institution ? Elle fait appel à des personnes non diplômées, charitables et sympathiques, mais souvent totalement incompétentes car incompréhensibles faute d’un bon niveau en langue des signes. Comment peuvent-elles traduire dans une langue qu’elles connaissent mal des procédures qu’elles comprennent à peine ? Et nous voilà revenus à la situation de départ…

L’accès à la citoyenneté

Travail d’information, travail de sensibilisation, tête-à-tête avec les sourds, rencontres avec les professionnels du droit. La Permanence Juridique a compris que les droits des sourds ne seraient pas respectés tant qu’eux-mêmes ne seraient pas perçus comme citoyens, membres égaux de la communauté.

Avec des bénévoles, des militants, avec peu de moyens, la Permanence Juridique a ainsi organisé des évènements exceptionnels visant à diffuser cette image de sourds en tant que citoyens, non plus seulement en tant que joyeux artistes émouvant les téléspectateurs ébahis par quelques signes.

Pour le vote sur la Constitution européenne, des professionnels de la question sont venus expliquer l’Europe, ses institutions, ses enjeux, à une salle comble dont tous les regards convergeaient sur l’interprète en langue des signes. Au moment de la dernière campagne présidentielle, tous les partis politiques ont été conviés, et ils sont tous venus, pour que soient traduits les discours, les programmes à ces électeurs un peu trop facilement oubliés. Cette rencontre a été organisée en dehors de tout cadre institutionnel ou associatif, simplement entre citoyens mobilisés.

La population sourde le prouve dans ces moments-là : elle est en demande d’informations et d’accessibilité. Son ignorance n’est pas le fruit de son choix mais du mépris que lui témoignent ses représentants politiques et l’ensemble des institutions.

Vers un diplôme d’accompagnement juridique en langue des sourds

En 2009, à l’initiative de Anne-Sarah Kertudo, responsable de la Permanence Juridique pour les Sourds, un projet de Diplôme Universitaire à l’Université Paris 8 a été entrepris. Intitulé « Information et accompagnement juridiques en LSF », ce diplôme aura pour objectif de former des professionnels du droit à ce métier émergent.

Le projet, en partenariat avec la Ville de Paris et Serac, association d’enseignement de la LSF, a été accueilli avec enthousiasme par le service de formation continue et validé par l’université. Cette formation ouvrira ses portes en 2011. Ce projet implique également de convaincre les grandes villes de France d’ouvrir, elles aussi, des Permanences Juridiques pour les sourds où pourront prendre poste les juristes, une fois sortis du DESU.

Mais l’exclusion du droit ne concerne pas uniquement les sourds. On sait que les tribunaux ne sont pas accessibles aux personnes en fauteuil roulant, on sait moins qu’il en est de même des cabinets d’avocats, des études de notaires, d’huissiers, des commissariats… C’est pourquoi plusieurs associations, comme le Conseil National Handicap, oeuvrent pour favoriser l’accès au droit des personnes handicapées, pour qu’enfin droit et handicap se rencontrent.

Contact :

Permanence juridique pour les sourds, Mairie du 9è arrondissement, 6 rue Drouot, 75009 Paris / 01 71 37 76 57 / annesarahkertudo@yahoo.fr


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Mots-clés Europe - France - Législation - Permanence juridique - Système judiciaire - Handicap - Sensibilisation - victimes de discrimination -

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