Quand les chômeurs et précaires se mobilisent pour leurs droits

APEIS / Association pour l’emploi et la solidarité des chômeurs et précaires




1 L’APEIS a été créée en 1987 par un groupe de personnes qui, s’étant retrouvées au chômage, ont été confrontées à divers problèmes de droit. L’APEIS est donc partie d’un constat : les droits des chômeurs ne sont pas respectés, notamment parce que ces derniers n’ont pas accès à l’information et ne sont pas suffisamment organisés. La formation au droit des membres de l’APEIS 2 Les membres de l’APEIS se sont formés au droit sur le terrain, en lisant des ouvrages, en échangeant les connaissances recueillies par chacun tout au long de son parcours. Aujourd’hui, l’utilisation de l’Internet permet de mieux accéder à l’information juridique, ce qui facilite le travail car certains sujets nécessitent une recherche d’informations continue. 3 Une fois que les textes juridiques (loi, décret, jurisprudence, …) sont trouvés, il reste bien sûr à les déchiffrer et à les interpréter. Le travail collectif facilite cette tâche car chacun exprime sa compréhension du texte ; l’important étant vraiment de voir comment on peut interpréter son contenu de façon à ce que cela puisse venir appuyer les revendications exprimées. Etablir des rapports de forces avec les administrations en faveur des chômeurs 4 A ses débuts, l’association a commencé à se mobiliser sur le problème du fond social (fond normalement destiné à être redistribué aux chômeurs pour compléter leurs indemnités de chômage). Pendant longtemps, les sommes de ce fond revenaient en fait dans les caisses de l’UNEDIC et étaient utilisées au bénéfice d’autres secteurs, notamment pour la baisse des cotisations patronales. Après une bataille de plusieurs années, l’APEIS a réussi à obtenir que les dossiers de demande portant sur les fonds sociaux soient examinés. L’association s’est ensuite mobilisée sur d’autres thèmes puisque les chômeurs étaient aussi confrontés à des problèmes de logement, d’endettement, de sécurité sociale, … 5 La confrontation avec les administrations avait pour objectif au départ de les forcer à reconnaître le droit à l’accompagnement des chômeurs dans leurs démarches par les associations et mouvements de chômeurs. Dans les rapports avec l’administration, l’APEIS souligne qu’il est essentiel de connaître un minimum le droit. Le comportement des administrations change lorsqu’elles ont en face d’elles des gens qui connaissent leurs droits. Venir avec les textes juridiques par exemple empêche que des fonctionnaires ne rejettent la demande avec des arguments non valables. Faire évoluer les lois 6 Pour faire reconnaître ce droit à l’accompagnement des chômeurs, l’APEIS a également mené des actions de « lobbying », dans le cadre de l’adoption de la loi contre les exclusions de 1998. L’association a par exemple interpellé le gouvernement, proposé des amendements aux parlementaires. Ce type d’action, appuyé par l’organisation d’occupations d’ASSEDIC , a permis d’inscrire le droit à l’accompagnement dans cette loi. Les actions collectives 7 Les actions collectives constituent, pour l’APEIS, le principal moyen d’agir lorsque les autres stratégies n’ont pas permis de faire évoluer les choses, ou pour permettre d’appuyer d’autres actions (actions judiciaires par exemple) en changeant les rapports de forces. L’occupation de lieux est l’un des modes d’action le plus utilisé par les militants de l’association : occupation de logements vacants ou d’administrations : ASSEDIC, DDTE (Direction Départementale du Travail et de l’Emploi), etc. Il s’agit le plus souvent juste d’être présents pour informer les chômeurs sur le danger de l’adoption d’une loi, sur un dispositif nouveau,… Parfois l’action peut être plus dure : les militants essaient de bloquer le fonctionnement de l’organisme occupé, mais toujours dans le respect du personnel et du matériel. 8 Avant de mettre en place l’occupation, l’APEIS essaie de passer par la négociation. L’action collective est cependant plus porteuse, car elle permet d’impliquer directement les gens. 9 Ces actions doivent être préparées et elles nécessitent toujours un suivi. D’abord, pour que ce qui a été obtenu pour quelques-uns s’étende à tous. Ensuite, pour que ce qui a été accordé suite à l’occupation soit réellement appliqué. 10 Les résultats dépendent de l’enjeu de ce qui est demandé. Lorsqu’il s’agit de régler la situation de quelques personnes (demande de réintégration dans leurs droits de quelques chômeurs en plaidant la bonne foi ou l’état de nécessité par exemple), des résultats sont le plus souvent obtenus. Lorsque l’enjeu est plus large et plus politique, la lutte doit se développer et être menée à beaucoup plus long terme. Les actions judiciaires 11 Jusqu’à l’affaire dite des recalculés , l’APEIS avait rarement eu à se battre sur le terrain de la justice civile. Dans cette affaire, il est important pour les militants de souligner que les associations et mouvements de chômeurs ont porté plainte. 12 Dès janvier 2003, l’APEIS a commencé à alerter les chômeurs, à poser des questions aux pouvoirs publics sur le nouveau dispositif d’assurance-chômage (la réponse a été que les chômeurs ne seraient pas « recalculés » dans leurs droits, la réforme ne concernant que les nouveaux chômeurs…). Jusqu’à la réception des premiers courriers annonçant la fin du versement de leurs allocations, les gens ne se sont pas vraiment mobilisés. 13 Au moment des assemblées générales des APEIS, en septembre 2003, certains chômeurs ont soulevé la question de la nature contractuelle du PARE (Plan d’Aide de Retour à l’Emploi : document signé entre les chômeurs et les ASSEDIC conditionnant le versement des allocations de chômage) et de la possibilité de porter l’affaire devant les tribunaux. A Paris, ce sont plutôt les cadres supérieurs qui ont soulevé cette question. Les gens en situation de grande précarité n’imaginaient pas qu’ils pouvaient porter plainte. 14 Pour accompagner les chômeurs dans leur lutte, toutes les organisations de chômeurs et précaires ont travaillé ensemble sur les dossiers. Les militants de l’APEIS ont entamé des recherches juridiques et contacté certains avocats pour savoir s’ils acceptaient de prendre en charge l’affaire, mais aucun d’entre eux n’a trouvé la demande légitime et crédible. Tous ont répondu que l’affaire était perdue d’avance et qu’il leur semblait impossible que les juges donnent raison aux chômeurs. 15 Les membres de l’APEIS et des autres mouvements de chômeurs ont alors étudié les arguments avancés par les avocats qui jugeaient que les chômeurs ne pourraient obtenir gain de cause et y ont répondu point par point. 16 Certains de ces avocats avaient par exemple avancé le fait que le Tribunal de Grande Instance de Paris avait déjà statué sur la nature du PARE, jugeant que ce n’était pas un contrat. L’association leur a répondu qu’il fallait peut-être chercher si, dans sa mise en application ou dans la présentation qui en a été faite aux chômeurs lors de sa signature, le PARE ne pouvait être considéré comme un contrat. Les recherches jurisprudentielles effectuées ont appuyé ces arguments. Cette action a montré l’intérêt de développer un travail en étroite collaboration entre toutes les associations et mouvements de chômeurs et les avocats qui bien souvent n’avaient aucune idée précise de la façon dont se faisait la signature d’un PARE. 17 Des réunions entre les différents avocats et avec les associations ont alors été organisées pour que chacun confronte ses arguments et puisse participer à la construction de la stratégie juridique ; des recherches d’informations juridiques, de décisions de jurisprudence ont été effectuées par les militants des associations, … 18 Le travail avec les avocats a été essentiel : les associations et mouvements de chômeurs apportaient la connaissance des réalités du terrain, les avocats les éléments techniques pour le montage du dossier. Par exemple, quand le Conseil d’Etat (plus haute juridiction administrative française) a demandé ce que pourrait impliquer aux niveaux juridique et social la réintégration dans leurs droits des chômeurs, les avocats ont sollicité les associations pour qu’elles répondent et pointent du doigt le vide juridique existant, la réalité vécue par les gens qui ne touchaient plus rien. 19 Ainsi, la bataille juridique a permis l’obtention d’une victoire politique. Le Conseil d’Etat a autorisé les partenaires sociaux à signer une nouvelle convention (au mois de juin) applicable rétroactivement au 1er janvier 2004, ce qui constitue une jurisprudence inédite (la rétroactivité des conventions est normalement impossible en droit…). Le gouvernement a alors préféré réintégrer tous les chômeurs dans leurs droits. 20 Selon l’APEIS, dans cette lutte judiciaire, deux facteurs ont notamment permis d’obtenir ces résultats : le contexte politique (le gouvernement avait subi un sérieux revers aux élections régionales) et le ralliement de l’opinion publique à la cause des chômeurs. Les militants soulignent à ce propos que celui-ci n’aurait pu se faire en utilisant simplement l’argument du contrat (argument juridique trop technique), mais en faisant passer aussi le message que l’Etat ne respectait pas ses engagements. 21 Dans toutes les luttes menées et les victoires remportées, la connaissance et la maîtrise du droit, même si elles ont été essentielles, n’ont jamais été suffisantes. La reconnaissance de la légitimité sociale des luttes a été fondamentale, tout comme la mobilisation des personnes concernées. Un des points les plus importants, selon l’APEIS, pour mener des actions juridiques ou des actions devant les tribunaux, est de maîtriser totalement l’information sur le sujet dénoncé, sur ce qu’on veut obtenir de nouveau ou ce qu’on veut faire appliquer. Il est nécessaire de bien cerner les questions et les problématiques pour chercher les réponses - légales ou légitimes - qu’on peut y apporter. Il est également essentiel de parvenir à articuler entre elles toutes les actions (actions juridiques, mobilisations collectives, ...). Il ne faut jamais laisser de côté la question des rapports de forces si on veut faire avancer les choses. Les permanences d’accueil 22 L’APEIS est avant tout un lieu d’échanges, au sein duquel les militants tentent à la fois d’apporter des réponses à des problèmes urgents et de favoriser l’autonomie des personnes face à leur situation. C’est à elles de faire leurs choix, de décider des actions qu’elles veulent ou non engager. Les permanences sont généralement tenues par d’autres chômeurs, en coordination avec un permanent de l’association. Il est important, pour les gens en situation de précarité, que leur savoir soit reconnu, notamment dans le domaine du droit où leur parcours leur a souvent permis d’acquérir des connaissances et compétences importantes qui peuvent servir efficacement aux autres.


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Mots-clés Action juridique et judiciaire - Formation juridique - Mobilisation populaire - Permanence juridique - Professionnel du droit - Transformation sociale - Travail -

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