Entre droit autochtone et droit officiel : quels droits fonciers ?

Luttes aborigènes du Peuple Jawoyn




Pour les peuples autochtones d’Australie, la terre ne se réduit pas à un bien à valeur économique, ni même à un lieu où habiter. La relation qu’ils entretiennent avec les terres traditionnelles est essentielle. "C’est de cette relation que les peuples autochtones tirent leur culture, leurs lois, leurs droits et leurs responsabilités. C’est d’elles que proviennent leurs langues, leurs sites sacrés, leurs totems et leurs systèmes de parenté". La survie de ces peuples est donc intimement liée à leurs luttes pour le foncier. Aujourd’hui, ceci implique de se battre contre les éleveurs et les compagnies minières, contre le gouvernement et les promoteurs immobiliers. Cette lutte a été la même pour les différents peuples autochtones d’Australie. Elle s’est traduite par l’adoption de lois sur les droits fonciers aborigènes ( la plus importante est celle de 1975) et par la décision de juin 1992 rendue par la Haute Cour australienne, dans l’affaire Mabo, qui reconnaît les titres fonciers indigènes. Dans cette affaire, la justice du pays a admis la reconnaissance juridique d’un titre de propriété aborigène antérieur à la colonisation. La Haute Cour assortit cependant cette reconnaissance de plusieurs conditions qui restreignent dans les faits la portée de son arrêt. Dans la région de Katherine, dans le Nord du pays, les Jawoyns ont dépensé énormément d’énergie, de temps et d’argent durant ces quinze dernières années pour prouver l’existence de leurs droits fonciers conformément à la loi fédérale sur les droits fonciers. Pour cela, ils ont dû emprunter des voies procédurières souvent perçues comme insultantes. Ils ont dû : - argumenter leur cas auprès d’un juge, au travers de mécanismes légaux qu’ils ont tout d’abord dû maîtriser, car ils ne reflétaient pas la façon dont le peuple Jawoyns régule sa société. - réviser les règles de leur société traditionnelle pour les adapter à la législation, dévoiler au juge des éléments sur des lois et des cérémonies tenues secrètes et dont la divulgation constitue une transgression des lois indigènes. - persévérer en dépit de la lenteur du processus¤ : requête introduite en 1978, première audience du juge en 1988, jugement en 1993 et obtention des titres légaux encore 18 mois plus tard. - faire face à d’énormes pressions de la part de l’industrie minière, du gouvernement et des médias ; des tentatives de corruption et de division de leur peuple. - recommencer les démarches, puisque le juge ne reconnut tout d’abord qu’une partie de leurs titres. Les Jawyons entendent utiliser leurs terres pour se créer un avenir économique meilleur et poursuivre leurs responsabilités traditionnelles de protection de leur pays. Ainsi ont-ils mené un combat qui débuta en 1960 quand une entreprise minière voulu s’installer dans la région de Guratba. Leurs règles leur donnaient l’obligation traditionnelle de protéger cet endroit. Comme il ne s’agissait pas d’une terre aborigène, ils eurent recours à une autre législation, à savoir celle sur la protection des sites sacrés, ainsi qu’aux médias, et ils s’adressèrent à tous les niveaux du pouvoir. Ce n’est qu’en 1991 que le gouvernement fédéral se plia aux exigences des Jawyons de faire respecter leur loi traditionnelle et d’empêcher les activités minières à Guratba. Contrairement à ce qu’avançaient leurs opposants, cette décision eut des conséquences économiques très positives.Les terres furent louées à l’Etat comme parc national géré majoritairement par des Jawyons. Petit à petit, les Jawyons ont négocié et racheté les compagnies de bateaux proposant des promenades touristiques. Les bénéfices ont été investis dans la création d’un centre commercial, de logements et d’autres activités sur les terres traditionnelles. D’autre part, ils utilisèrent la décision Mabo pour obliger les investisseurs miniers et le gouvernement à négocier l’exploitation aurifère de leurs terres. Ces négociations furent difficiles en raison de l’inégalité existant entre les parties : d’un côté des gens très pauvres, souvent analphabètes, et de l’autre, le gouvernement et une entreprise... Mais, elles furent fructueuses : en échange de la cession de leurs titres fonciers sur des terres moins sensibles que celles de Guratba, les indigènes obtinrent l’accélération de l’entérinement de leurs revendications foncières sur d’autres terres, la garantie de formation et d’emplois par la compagnie minière, c’est-à-dire des emplois et des revenus garantis (27% de la force de travail est aborigène, soit quatre fois plus que dans n’importe quelle exploitation minière australienne). Peu après, ils se lancèrent dans un partenariat avec une autre compagnie, qui se traduisit par des emplois mais aussi des bénéfices financiers directs dès la fin du remboursement de l’emprunt contracté pour réaliser ce partenariat. L’auteur de ce texte conclut : "Cela entraîne aussi l’important principe en fonction duquel nous sommes impliqués dans le développement économique de notre terre si nous pouvons contrôler et tirer des bénéfices de ce développement. (...) La clé du succès pour les peuples autochtones réside dans le respect des lois traditionnelles et des processus de prise de décision en les incorporant dans tous projets de développement."


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Mots-clés Action juridique et judiciaire - Communauté - Droit - Droit coutumier-droit étatique - Droit traditionnel - Foncier-rural - Guérilla juridique - Habitat - Identité culturelle - Justice - Lutte foncière - Lutte juridique - Pluralisme juridique -

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