Une interprétation de la loi française de 1901 sur les associations




Jean Designe tient une permanence juridique dans le sud de la France. Aux gens qui viennent le rencontrer pour discuter de la meilleure manière de commencer un projet ou d’entrer dans la vie professionnelle, il leur conseille de former une association Loi 1901. Deux membres de Juristes-Solidarités l’ont dernièrement interrogé sur les particularités et les avantages de ce type d’associations. Juristes-Solidarités : L’idée à la base des associations, ce sont des gens qui ont un projet en commun, se regroupent pour le promouvoir et, éventuellement, le faire connaître aux autorités. N’y a t-il pas là une démarche qui se rapproche de celle des pratiques alternatives de droit ? Jean Designe : Il peut y avoir un rapport quand des gens ont un projet commun et le mettent en mouvement : ce sont des gens autonomes. Sinon, je ne vois pas le lien avec les pratiques alternatives de droit. Il pourrait y avoir une pratique alternative de droit dans l’élaboration de la structure associative, ce qui est rarement, voire jamais le cas. La majorité des gens pense en effet que la loi de 1901 rigidifie, formalise, hiérarchise, institution-nalise des démarches autonomes. Je ne parle pas des grosses associations qui sont établies, qui sont maintenant de véritables monuments, avec des chefs, une hiérarchie... Même les gens qui sont dans une démarche associative sont, pour la plupart, très formalistes. La loi de 1901, c’est au contraire un principe de liberté, puis une seule condition, être deux. Pour moi, c’est une loi quasiment parfaite car il y a un principe et c’est à partir de celui-ci que tout s’ordonne. Toutes les questions qui interviennent après nous ramènent au principe de base. JS : Mais le monde des associations connaît une grande évolution depuis plusieurs années. A l’origine, l’association se plaçait en marge du système des sociétés privées, apparaissant davantage comme une activité de "¤loisir¤" que des salariés menaient en dehors de leur travail... Désormais, l’association gagne sur le domaine privé. Elle salarie, une loi de 1985 autorise les associations à faire appel à l’épargne public pour émettre des obligations. N’y a t-il pas là une dénaturation de l’idée associative ? JD : L’esprit associatif peut avoir changé. Ensuite, c’est à la fois le milieu commercial, libéral qui est "¤jaloux¤" et fait pression en affirmant que les associations leur font de la concurrence. Quant à l’évolution des associations qui se sont de plus en plus professionnalisées, c’est une évolution interne qui vient peut-être de facteurs extérieurs. Ainsi, du mouvement des "¤sans frontières¤", devenu très professionnel. Mais aussi de toutes petites associations, composées de bénévoles à l’origine, des gens qui mettent leurs compétences intellectuelles, techniques à la disposition de chômeurs par exemple. Quant à savoir s’il s’agit d’une dérive de l’esprit associatif, encore faut-il savoir de quel esprit on parle. S’il s’agit de l’esprit 1901 - des gens bénévoles sans nécessairement beaucoup de compétences mais qui ont beaucoup de bonne volonté - alors oui il y a une dérive. Mais si l’esprit associatif, ce sont des gens qui se mettent ensemble et qui développent un projet utile à la société, alors il n’y en a pas. Quant à l’esprit, la loi 1901 permet à des gens, dans les quartiers dits¤"¤difficiles¤", de mener un projet -ainsi des services aux personnes âgées-. Une association loi 1901 leur permet d’amorcer un projet et de le mettre en forme. C’est facile à mettre en place, pas cher et en plus il y a une structure juridique. Avec cette structure juridique, ils vont réussir à amorcer, à mettre en place le projet. Ils ne seront pas tout de suite dans la logique administrative, comptable qui va les submerger. Pour les exigences administratives, il n’y a pratiquement rien, sinon un carnet de compte sur lequel on marque les décisions prises, une ouverture de compte en banque éventuelle, et c’est réglé. De plus, cette structure juridique permet, dans les démarches auprès des collectivités, de parler au nom d’une association, en soumettant des projets élaborés, budgétisés. C’est même mieux que de venir en tant que "société" car les institutions, tout comme les bailleurs de fonds privés, sont davantage intéressées à dialoguer avec des structures associatives. Sur le plan fiscal, il n’y a aucun risque lorsque ça démarre. Cela peut durer 6 mois ou un an sans rentrées d’argent, ou très peu. Quelques prestations permettront de rembourser des frais de déplacement ou d’achat de matériel. Il faut rectifier le tir seulement si le projet se développe et si beaucoup d’argent rentre. Deux possibilités : soit, aller voir le Centre des impôts pour déclarer l’exercice d’activités commerciales et l’association est alors soumise à l’impôt, à la TVA. Soit, créer une société, tout en conservant éventuellement la forme associative pour les activités qui entrent encore dans ce cadre. Mais dans les deux cas, ces démarches auront permis de se familiariser aux formalités administratives. JS : Qui sont les gens qui viennent te voir à ta permanence et que leur dis-tu ? JD : Je préviens d’abord les gens qui viennent me voir et qui sont dans une démarche de "¤construction¤" de leur emploi, que l’associa-tion loi 1901 n’est pas faite pour cela à l’origine, mais que si cela peut leur mettre le pied à l’étrier, qu’ils commencent par cette structure. Car il est évident que cette structure n’est pas faite pour supporter une activité professionnelle individuelle. La loi 1901 n’est pas la réponse à tout. Au delà de cette catégorie de personnes que je reçois à la permanence, il y a aussi des gens qui ont un projet collectif, comme ceux dont je parlais tout à l’heure et qui souhaitent, par exemple, apporter une aide aux personnes âgées de leur quartier. Il y a aussi des jeunes qui sont encore étudiants, qui anticipent l’entrée dans la vie professionnelle car ils ont déjà la capacité de développer des projets. Ce sont souvent des étudiants dans le domaine culturel et qui veulent déjà "¤vendre¤" un article de presse, une mode vestimentaire... Ils cherchent donc une structure juridique qui le leur permette. Alors, un lecteur rigoureux de la loi 1901 criera au scandale, arguant que cette loi n’est pas faite pour cela. Personnellement, cela ne me gêne pas, d’autant que ces jeunes sont rarement dans une dynamique "¤marketing¤"... Ils veulent seulement mettre un pied dans la vie, or il n’y a pas de "¤pont¤". Une fois encore, c’est un problème social -trouver un boulot, sa place dans la société- or, la structure associative a été mise en place pour répondre à une demande sociale. JS : Autrement dit, l’association "¤nouvelle génération¤" peut être un excellent labora-toire, un sas entre une vie bénévole et une vie d’entreprise plutôt que de passer directement au monde des sociétés privées, au risque d’échouer ? Finalement, l’association a suivi la conjoncture et devient une aide pour des personnes qui veulent s’insérer ou se réinsérer¤ ? JD : Oui, mais ces personnes peuvent continuer sur le plan associatif. Ils peuvent embaucher et devenir une association intermédiaire. Le problème reste fiscal, car le fisc va vouloir les imposer. S’ouvre alors un débat : est-ce qu’on garde la structure associative tout en prévoyant un aménagement fiscal ou est-ce qu’on crée un structure particulière, sorte d’association commerciale ? Car juridiquement, l’association peut faire des actes de commerces. Modifier la loi 1901 ne servirait à rien. Je tiens fermement au principe de liberté tel qu’il est contenu dans la loi 1901. Ou elle existe et elle est totale, ou on met des restrictions et alors il n’y a plus de liberté. C’est peut-être un choix idéologique, mais c’est aussi un pari sur la capacité des gens de développer des projets, démocratiques ou non. Dans ce dernier cas, c’est, après, dans le cadre d’une confrontation ou d’un travail pédagogique que l’on peut remédier au caractère non démocratique du projet. JS : Est-il possible d’avoir une action a posteriori sur une association qui s’est créée ? JD : Sur le plan juridique, on peut, vous et moi, créer une association de malfaiteurs, la déclarer à la préfecture et le préfet est tenu de nous accuser réception de la constitution de notre association. Après, le Préfet saisit le Procureur de la République et là, c’est l’autorité judiciaire qui fera faire une enquête. Si celle-ci démontre que nous sommes des malfaiteurs, alors l’association sera poursuivie, et nous seront traduits devant le tribunal correctionnel. De même, au cours du fonctionnement d’une association, l’un de ses membres peut critiquer le fonctionnement mais la démocratie arithmétique (un homme ou une femme égale une voix) peut le confiner dans une position minoritaire qui l’empêche de modifier quoi que ce soit. Dans ce cas, le membre peut sortir de l’association et saisir le juge judiciaire qui pourra venir vérifier ce qui se passe dans l’association. Voilà sur le plan juridique.¤Hors cadre juridique, entre des associations non démocratiques et des associations démocratiques, la régulation se fait à travers des actions dans le cadre de structures existantes ou à travers des actions plus spontanées (manifestations, formations pédagogiques... ).


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Mots-clés Association - Création d’emploi - Droit associatif - Initiative privée - Interprétation de la loi - Loi - Réflexion -

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