Médiation institutionnelle = Danger !

De la meilleure manière d’éradiquer la spontanéité des rapports humains




Les modes traditionnels de résolution des conflits suscitent de nos jours le scepticisme des gens, tandis que le médiateur devient une pièce maîtresse dans la recherche des conciliations qui permettrait de soigner les déchirures du tissu social. Henri-Pierre JEUDY, sociologue au CNRS (Centre National de Recherche Scientifique, France) dénonce la gestion abusive de la médiation par le pouvoir politique français. Selon lui, la promotion du concept de médiation est, pour le pouvoir politique, le meilleur moyen d’entraîner une dynamique institutionnelle avec le prétexte de résoudre la "fracture sociale". Les ministères concernés par les politiques de la ville, la gestion du social et des pratiques culturelles reçoivent le concept de médiation comme l’injonction du moment, les contraignant à réorienter le sens de leur action. Il produit un surcroît de légitimation des institutions en offrant une solution idéologique alternative, jusqu’au moment où le concept de la médiation sera dévoyé et un autre concept viendra le remplacer. Non seulement le terme de médiation a l’avantage de présenter un éventail de significations qui permet de traiter tous les genres de rapports sociaux, mais faire de la médiation partout est également une manière de tout institutionnaliser, ôtant toute spontanéité aux rapports humains, même les simples rencontres en ville. Dans une société en crise perpétuelle, le traitement du lien social n’est plus laissé au hasard, mais devient alors le fruit d’une gestion prospective. La gestion du lien social est perçue comme l’exercice obligé de la médiation, qui vient compléter la mise en place des "relations de proximité". Ces dernières ont été décidées et organisées à tel point qu’elles fonctionnent comme des injonctions, dont l’efficience fait l’objet d’une évaluation permanente, pour vérifier en réalité le perfectionnement du vocabulaire institutionnel. Or, l’espace public, lieu de tous les conflits possibles, doit rester sous haute surveillance conceptuelle. Pour générer du lien social, il faut multiplier les médiateurs en les trouvant dans le corps social, la concierge étant l’un des plus vieux modèles. Mais les pouvoirs publics sont tentés d’établir un véritable répertoire de médiateurs, en vue de quadriller les territoires urbains et constituer des relais de médiation. Ainsi, la médiation, spontanée à l’origine, risque d’être professionnalisée. On peut alors pêcher toutes sortes de médiateurs dans ce répertoire. Parmi eux, la "femme-relais" est un modèle du genre. Son rôle est de faciliter la vie quotidienne des personnes d’origine étrangère, afin d’éviter l’"ethnicisation" des problèmes sociaux, au nom d’une défense du modèle français. Elle est donc chargée de gérer au quotidien l’interculturalisme, mais sa fonction n’est pas qualifiée. Comme l’ancien petit délinquant utilisé au travail de la médiation dans des opérations d’intégration culturelle. Si l’impératif de la médiation entraîne la production de nouvelles qualifications, elles relèvent plutôt, pour la plupart, de la sous-qualification. La société connaîtrait deux catégories de médiateurs : les grands experts, et les sous-qualifiés. On n’enverra jamais une "femme-relais" dans une banque pour négocier la libération du directeur pris en otage, car elle représente une "identité professionnelle inachevée". La médiation institutionnelle trouve sa raison sociale dans le contexte présumé d’un manque de communication : les gens se protègent et ne se parlent presque plus. Les caméras de surveillance, efficaces ou non, semblent rassurer les citadins et instaurent le principe d’une relation sociale toujours vécue en image d’elle-même. De son fauteuil, le locataire d’une habitation à loyer modéré peut observer les entrées et les sorties de son immeuble, surveiller son bébé qui dort dans une chambre voisine tout en continuant de voir le film de la soirée. Et, quand il sortira demain dans la rue pour faire ses courses, il sera lui-même visionné par des vigiles installés devant leur écran. Une réalisation de la vie sociale remplaçée par les nouvelles technologies expliquerait entre autres la pathologie de la communication de la vie quotidienne, et la violence viendrait de ce manque d’échange et de compréhension. L’autorité publique, représentée par ses institutions, déciderait alors " de re-théâtraliser la vie sociale en prenant l’occasion de la médiation pour rétablir une symbolique du lien social". Seulement, écrit Henri-Pierre Jeudy, "l’échange symbolique ne peut pas être l’objet d’une gestion technocratique". L’institutionnalisation du concept de médiation se solderait sinon par l’irrésistible ascension de l’abstraction gestionnaire. Le danger est que des forces extrémistes telles que le Front National, parti d’extrême-droite français, prennent à revers un tel excès de conceptualisation de la société en mettant, pour ainsi dire, le doigt dans la plaie afin de la faire saigner. Opération d’autant plus aisée qu’elle repose sur la négation radicale de l’idée même de la médiation.


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Mots-clés Civisme - Droit vivant - Etat - Lien social - Logique professionnelle - Médiation - Médiation juridique -

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