Usage alternatif du droit

Comparaison entre l’approche latino-américaine et l’approche italienne




Le rôle important que joue le droit dans les sociétés latino-américaines, caractérisées par des relations sociales fondamentalement injustes, a amené certains juristes de ces pays à proposer un \"Usage alternatif du droit\". Déterminer le contenu de l\’expression en rapport avec l\’Amérique Latine, tel est le propos de Roberto Bergalli. Des affinités électives entre les conditions économiques et la rationalisation du droit En préliminaire, l\’auteur pose comme vérifiée la constatation selon laquelle, la reconnaissance que le droit accorde à certaines prestations dans les sociétés développées, ne peut être étendue dans les sociétés où le respect de la justice sociale pose problème. Est-ce à dire que le droit ne peut être autonome de la sphère économique ? La sociologie juridique apporte des réponses intéressantes sur la connaissance des influences de certains facteurs sur les processus de production et d\’application du droit. Selon Max Weber (juriste et sociologue allemand (1864-1920) qui mit en évidence la relation significative entre la morale puritaine calviniste et la rationalisation économique, propre au monde capitaliste) : \" les situations économiques ne génèrent jamais automatiquement de nouvelles formes juridiques, mais elles supposent uniquement des circonstances favorables\". Des différents usages de la locution \"Usage alternatif du droit\" Selon Roberto Bergalli, la grande différence entre l\’Europe et l\’Amérique Latine à propos de l\’usage alternatif du droit est que la première l\’utilise dans le cadre d\’une étude critique, théorique, des sciences, tandis que la seconde l\’envisage d\’une manière pratique, comme une stratégie d\’action contre un droit valide mais injuste. Ainsi, les juristes latino-américains impliqués dans la lutte populaire révèlent un certain aspect théorique en faveur des opprimés, mais cela ne constituerait pas une théorie en soi. Des juges théoriciens du droit et des fonctions politiques de la juridiction en Italie La crise de la justice en Europe occidentale, après la IIème Guerre mondiale, a incité certains juristes critiques à réfléchir sur la manière de la solutionner. Les postulats traditionnels de l\’Etat de droit ainsi que les présupposés économiques occidentaux ont commencé à se dégrader. En Italie, la magistrature fut prompte à réagir, réaction qui fut rapidement suivie d\’une relecture des différentes théories du droit en vigueur à l\’époque. C\’est à cette occasion que fut lancée le terme usage alternatif du droit, en 1972. Ce fut un moment très important parce que, à partir de là, les juges démocratiques italiens ont admis leur rôle de suppléant du pouvoir politique, de manière à conférer à leurs fonctions juridictionnelles toute la dimension politique que contient chaque cas soumis au juge. Ce dernier point est d\’importance car il existait auparavant un mythe juridique selon lequel le juge était apolitique. Or, la reconnaissance d\’un moment politique incontournable dans l\’exercice de la fonction juridique suppose une attitude constamment critique, non seulement à l\’égard des magistrats italiens traditionnels, mais aussi à l\’égard du droit en vigueur. Les analyses critiques de ces juges ont démontré la fiction de l\’Etat de droit et la nécessité d\’orienter le droit vers un approfondissement des espaces démocratiques qu\’offre la Constitution italienne. De ce que l\’usage alternatif du droit prétend réaliser en Amérique Latine La situation italienne contraste avec la situation en Amérique Latine sur deux points : 1° - la culture juridique latino-américaine demeure obnubilée par la théorie du droit français, ce qui génère une dépendance unilatérale à l\’égard de l\’école française et révèle la nécessité d\’une plus grande authenticité dans les raisonnements. 2° - il est nécessaire d\’avoir un champ de réflexion en Amérique latine, surtout quand les différents mouvements sociaux surgis dans les sociétés latino-américaines réclament ouvertement de nouveaux cadres de réflexion sur la création et l\’interprétation du droit. Quels acteurs procéderaient à la création d\’un champ de réflexion ? Qui concentrerait un débat autour du droit et de la politique ? Selon une proposition de Bergalli, deux catégories d\’acteurs sont envisageables : - Les mouvements sociaux : La mise en question radicale des politiques sociales et le défi de la représentatitivité politique des grandes franges sociales marginalisées, que formulent les mouvements sociaux, ne supposent pas autre chose que l\’apparition de nouveaux faits sociaux, consistant à l\’appropriation politique des droits humains, pour les convertir en droit alternatif des majorités marginalisées. L\’impulsion donnée par une présence active et décisive des mouvements sociaux, permettrait une réflexion plus profonde sur la présence des acteurs sociaux collectifs et des nouvelles subjectivités sociales. D\’aucuns affirment que les mouvements sociaux se politiseront et deviendront un acteur politique collectif ; d\’autres, qu\’ils formeront de nouvelles manières de faire de la politique, alternatives novatrices qui prennent en compte la crise des instances politiques traditionnelles. En tout état de cause, si dans le processus de création des normes juridiques, les intérêts sociaux dominants ont une incidence décisive, il est raisonnable de penser que la participation décisive des mouvements sociaux dans la société civile latino-américaine, constitue un aspect fondamental pour la sociologie juridique. - Les juges : En vertu de l\’évolution observée en Italie, les juges peuvent remplir un rôle très important dans la création des normes juridiques. Des secteurs de la classe judiciaire peuvent, comme en Argentine et au Brésil, s\’identifier avec les valeurs propres et nécessaires d\’une pratique juridictionnelle alternative et s\’ériger en instance de contrôle, contre les excès du pouvoir enkysté dans l\’Etat. L\’article de Roberto Bergalli est précédé d\’une note critique de Germán Burgos, chercheur pour ILSA (Instituto Latinoamericano de Servicios Legales). Selon ce dernier, Bergalli apporte une perspective nouvelle au débat, sur la réalité de l\’Usage alternatif du droit, et ses possibilités. Mais il note un certain eurocentrisme, notamment dans l\’affirmation que l\’Usage alternatif du droit en Amérique latine ne correspond pas à ce qui, pour Bergalli, est Usage alternatif du droit. Quant aux juges, pour Burgos, ce qui n\’était auparavant qu\’une corporation judiciaire imperméable en Amérique latine se transforme peu à peu, dans certains cercles, en manière de penser et de développer une magistrature alternative pour qui les réalités politiques, économiques et sociales, et la situation des secteurs marginalisés sont autant de facteurs d\’interprétation de la loi. L\’Usage alternatif du droit va au-delà de la simple catégorie conceptuelle, il se construit jour après jour.


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Mots-clés Démocratie - Droit - Droit-représentation - Epistémologie juridique - Etat - Ethique - Juge - Justice alternative - Magistrat - Mythe de la rationalité du droit - Science du droit - Théorie critique du droit - Usage alternatif du droit -

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