Droit alternatif : quel contenu ?

Pratiques brésiliennes




Il y a peu de temps, ce qui n’était pas du droit étatique n’était pas considéré comme du droit à proprement parler. D’après Claudio Souto, le droit alternatif renverse aujourd’hui cette tendance. Mais quel contenu donner au droit alternatif ? Une alternative juridique s’est récemment développée au Brésil contre le statu-quo imposé par l’Etat. Par exemple, les magistrats alternatifs ne se considèrent plus comme des serviteurs de la loi mais ils appliquent le droit, entendu au sens de la justice. Cette idée d’un droit qui s’oppose aux lois de l’Etat et se base sur l’idée de la justice n’est pas nouvelle, car on parle de droit naturel depuis la plus haute antiquité, ou de droit vivant. Le droit naturel est l’ensemble des règles considérées comme existant en dehors de toute formulation. Un des premiers exemples de son expression se trouve dans une tragédie de Sophocle, auteur grec qui vécut au IVème siècle avant J-C., "Antigone". Antigone enterre son frère Polynice au mépris de la loi édictée par le roi Créon qui interdisait de rendre hommage aux traîtres morts. Elle-même est condamnée à être enterrée vive. Dans sa défense devant le roi, elle invoque l’existence d’une loi naturelle plus forte qu’une loi terrestre injuste. La loi naturelle supérieure est ici que chaque homme a droit à une sépulture -surtout chez les Grecs où l’âme, sinon, était condamnée à errer. L’insuccès du droit naturel est qu’il fut généreusement humanitaire mais toujours vague, ne définissant pas de manière précise un contenu juridique. C’est pourquoi, aujourd’hui, le droit alternatif ne peut pas se permettre d’être flou face aux règles très précises du droit en vigueur. D’emblée nous pouvons marquer l’évidence¤ : le droit alternatif n’est pas le droit étatique, il est déviant par rapport à celui-ci. Ceci est fondamental, car il faut comprendre que les deux droits s’opposent et sont complémentaires, le droit alternatif n’existant pas en soi s’il ne présente pas une alternative à un autre droit. Surtout, si le droit n’est pas alternatif, il n’en reste pas moins du droit, et inversement. Un premier contenu s’esquisse : le droit alternatif est le droit qui s’élabore en réaction, en alternativité, au droit en vigueur au nom d’une idée sociale de la justice. L’idée sociale de la justice se retrouve surtout au sein des groupes défavorisés, les groupes dominants possédant la maîtrise de la production du droit au niveau de l’Etat. La déviance par rapport aux lois de l’Etat se fait souvent au nom d’une justice définie par un groupe. Ce qui serait déterminant dès lors, c’est que l’acceptation dans un groupe se substitue à l’acceptation dans un Etat. Mais n’est-ce pas réducteur d’imaginer que le droit alternatif est le droit accepté au sein d’un groupe ? Il n’est pas rare que le sentiment populaire de la justice reflète une mentalité contemporaine à celle de l’Ancien Testament, très conservatrice et garante des inégalités sociales au sein d’un groupe où, par exemple, la femme n’est pas l’égale de l’homme. Un cas dramatique est la pratique fréquente du lynchage dans les favelas brésiliennes, au nom de la justice populaire. C’est indéniablement une alternative au droit de l’Etat, mais est-ce une alternative juridique ? Quel contenu donner au droit alternatif ? Le droit alternatif devrait être objectif et se situer entre le droit de l’Etat et le droit généré par un groupe, de manière à déterminer lequel des deux est réellement juste... ou à affirmer qu’aucun des deux droits n’applique une idée de la justice. Le droit serait dès lors le sentiment de la sécurité et du bien-être pour chaque être humain, un sentiment qui dépasse les cultures et se rencontre partout. Ce critère, appliqué au droit alternatif, lui permet d’être autonome tant au point de vue du droit étatique que du droit d’un groupe. Cela l’unifie également, sans préjudice du pluralisme des sources de production du droit. Le droit alternatif est toujours un phénomène déviant et mouvant. C’est pourquoi il présente une affinité très grande avec les idéologies qui entendent changer profondement la société. Le droit implique qu’il aide à la conservation de l’espèce. La conservation de l’espèce, quant à elle, implique l’intégration de tous les individus au sein de la communauté humaine. Cette intégration ne peut se faire qu’en soulignant les ressemblances entre les individus, au-delà des barrières de classe, de race ou d’opinions. En ce sens, une idéologie égalitaire a pour effet d’accentuer les similitudes entre les êtres humains, que ce soit le christianisme primitif ou les idéologies politiques et économiques égalitaires. Au contraire, une idéologie de domination accentue les différences entre les hommes par le conflit entre les classes et l’esprit de compétition. Le droit alternatif est le droit qui reflète une société où tous ses composants se sentent relativement bien à l’intérieur de celle-ci. Certes, aucune des sociétés actuelles n’a effectué une transformation à ce point radicale. Seulement, plus les personnes sont éduquées de manière à sentir la profonde similitude qui existe entre les êtres humains, plus il existera un sentiment de coopération et de paix. La pratique juridique alternative doit donc aller dans le sens d’une réalisation du droit de tous, qui est la réalisation de la similitude et du rapprochement entre les hommes.


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Mots-clés Concept juridique - Droit - Droit alternatif - Etat - Ethique - Idéologie - Justice - Société - Théorie critique du droit -

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