Débat sur "l’usage alternatif du droit"

Amérique Latine-Europe




Qu’est-ce que "l’usage alternatif du droit" ? Catégorie conceptuelle à l’origine, cette expression recouvre des contenus différents selon les continents et l’approche pratique. Dans "Le Otro Derecho", un des outils de diffusion de la réflexion menée par ILSA (Instituto Latinoamericano de Servicios Legales Alternativos), un débat s’installe à partir d’un article de Roberto Bergalli (Usos y riesgos de categorías conceptuales : conviene seguir empleando la expresión "uso alternativo del derecho" ?) et de la réponse de Germán Burgos, chercheur colombien à l’ILSA . D’après R. Bergalli, criminologue critique et défenseur de la sociologie juridique de Max Weber, les fonctions du droit dans les sociétés développées et démocratiques ont été : la régulation sociale, la résolution des conflits et la légitimation du pouvoir. En revanche, ces fonctions sont inexistantes dans les sociétés affectées par la stagnation et l’injustice sociale, telle l’Amérique Latine. La logique wéberienne montre l’influence des circonstances économiques sur les processus de production et d’application du droit ("affinités électives"). L’expression "usage alternatif du droit" (UAD), utilisée en Amérique Latine dans un autre contexte culturel, socio-politique et constitutionnel, désigne uniquement la prati-que, oubliant la mise en cause du droit en vigueur qu’elle comportait à l’origine (l’Italie des années 70, voir fiche "L’UAD en Italie"). Pour effectuer cette critique, R. Bergalli s’appuie sur toute une bibliographie, et plus particulièrement sur les textes : "Una concepción metodológica del uso alternativo del derecho" de Manuel Jacques et "Compa-raciones sobre las tendencias de los servicios legales en Norteamérica, Europa y América Latina" de Fernando Rojas, parus dans le numéro fondateur de "Le Otro Derecho" en août 1988. Bergalli considère que le mouve-ment latino-américain d’UAD se présente comme un renouvellement méthodologique de la science du droit, axé sur la pratique des services juridiques au service des opprimés. Mais leur rôle et leur vision critique ne seraient pas clairs : sont seulement proposées des tactiques d’action face à un droit injuste plutôt qu’une stratégie de fond. D’après Bergalli, l’UAD devrait s’articuler autour de trois points fondamentaux : la révision des connaissances traditionnelles de la dogmatique juridique, qui domine encore lourdement la culture juridique latino-américaine ; la participation des juges et la prise en compte des mouvements sociaux dans la création et l’interprétation du droit. Ces derniers proposent un nouveau paradi-gme social, demandant une représentativité politique pour la majorité marginalisée. Pour faciliter une production de droit de la part des mouvements sociaux, il faudra éviter de relier cette capacité génératrice uniquement aux services juridiques. De leur côté, les juges ont un rôle à jouer dans l’interprétation et la création des normes, la transformation démocratique et le contrôle de la légalité dans lequel l’Etat doit agir. Germán Burgos rédige la réponse sous forme de "Commentaire". Pour lui, l’article de Bergalli est un apport comparatif intéressant et sa préoccupation épistémologi-que sera utile à la construction d’une sociologie juridique latino-américaine. Mais croire que l’UAD a une unique version valable, l’italienne, révélerait une position eurocentriste, un attachement excessif aux mots. Même s’il est vrai que les services juridiques se perdent parfois dans l’activisme quotidien, les conclusions de R.Bergalli sont partielles. L’analyse du droit par les groupes est de plus en plus critique, et l’assistance juridique se voit bouleversée par la participa-tion de la communauté dans ses conflits, la formation de parajuristes, la reconnaissance des formes internes de régulation commu-nautaire, la promotion de groupes de pression et de la résolution extrajudiciaire des conflits. Les services juridiques tendent également à développer une magistrature alternative. L’expression "usage alternatif du droit" va au-delà d’une simple catégorie conceptuelle : elle se construit au jour le jour.


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Mots-clés Droit - Epistémologie - Epistémologie juridique - Etude comparative - Magistrat - Mouvement social - Réflexion - Rôle du droit - Service juridique - Sociologie - Source du droit - Usage alternatif du droit -

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