Les Boutiques de Droit

Boutique de Droit de Lyon




La ?juridicisation ? croissante de nos sociétés pose la question de savoir si elle ne dissimule pas une autre réalité : celle de l ?inadaptation de notre système juridique fondé sur un modèle de droit rationnel, centralisé, formaliste qui n ?est plus adapté à l ?évolution de nos sociétés en raison de la complexité, de la diversité des rapports sociaux et d ?une demande de participation plus active des citoyens dans la gestion de leurs relations. La crise de ce modèle de régulation juridique explique le succès de certaines expériences comme celle des Boutiques de Droit qui se sont attachées à développer un modèle de régulation fondée sur la décentralisation, la délégalisation et la déprofessionnalisation, se posant ainsi comme vecteur de transformation sociale. I ? La pratique des Boutiques de Droit Dès sa création, la Boutique de Droit a voulu s ?inscrire dans une approche de l ?accès au droit différente des permanences juridiques classiques. Historique La première Boutique de Droit à Lyon a été créée en 1980 dans le 7ème arrondissement et c ?est en 1986, que la médiation de quartier s ?est mise en place dans le 2ème arrondissement de Lyon sur l ?initiative de la Boutique de Droit qui a su entraîner autour d ?elle plusieurs autres associations du quartier pour réfléchir sur la prison, sur les alternatives à la justice, sur la médiation comme technique de résolution des conflits. S ?est alors construit un projet de médiation autour de deux idées fortes : la structure de médiation doit être un lieu de régulation autonome des problèmes de la vie quotidienne ; elle doit être également un lieu de socialisation. En 1987, l ?association Boutique de Droit a été créée et a mis en place un lieu-ressource dans le quartier de Perrache (Lyon 2ème) ayant pour objectif d ?offrir aux habitants plusieurs services : l ?accès au droit ; l ?aide aux victimes ; la médiation de quartier. En 1989, l ?association AMELY (Association MEdiation LYon) est créée et est chargée de mettre en place des structures de médiation dans l ?agglomération lyonnaise sur le modèle de la Boutique de Droit de Lyon, de recruter et de former des médiateurs bénévoles. Depuis 1987, 11 lieux-ressources ont été implantés dans différents quartiers de Lyon et de son agglomération. Une autre approche de l ?accès au droit Pour les Boutiques de Droit, la question de l ?accès au droit ne se limite pas à un problème de rapprochement de l ?offre et de la demande en multipliant par exemple les permanences juridiques. En effet, il n ?y a pas une demande mais des demandes de droit, ce qui nécessite d ?adapter les réponses à chacune d ?entre elles. Dès leur origine, les Boutiques de Droit se sont distinguées des permanences juridiques par leur volonté de faire du quartier un lieu pertinent d ?intervention pour répondre aux demandes de droit. Cette volonté reposait sur l ?idée que c ?est en créant de telles structures de proximité que l ?on pouvait répondre à certaines demandes sociales de droit non prises en charge par les permanences juridiques traditionnelles. Cette hypothèse a été vérifiée si l ?on se réfère à l ?activité des six Boutiques de Droit de la région lyonnaise pour l ?année 2001, qui ont pris en charge quatre mille deux cents dossiers avec peu de publicité puisque plus de 60% des usagers sont déjà venus ou ont été orientés par une relation. Mais c ?est l ?analyse du lieu de résidence qui illustre le mieux cette nécessité de créer des structures de proximité : en effet, dans les six Boutiques de Droit, plus de 30% des usagers résident dans le quartier où le local des Boutiques est implanté. L ?analyse du montant des ressources des usagers démontre aussi que ce type de structure de proximité permet de toucher les populations défavorisées car plus de 50 % disposent de moins de 760 euros (5000 francs) pour vivre. Ainsi les usagers des Boutiques de Droit relèvent en grande partie de ces exclus du droit qui méconnaissent souvent les droits les plus élémentaires comme le bénéfice de l ?aide juridictionnelle ? C ?est l ?analyse de la nature des demandes prises en charge par les Boutiques de Droit qui illustre le mieux la complexité de la demande sociale en droit. Leur traitement ne repose pas sur la simple diffusion d ?informations juridiques, elles nécessitent souvent une méthode d ?intervention particulière qui peut varier en fonction, non seulement de la nature de la demande, mais aussi du type de demandeur. Par exemple, on ne traite pas de la même façon une demande faite par une personne étrangère. Outre les handicaps de la langue et de l ?écriture, les systèmes de représentation du droit sont en effet aussi différents. On peut distinguer plusieurs sortes de demandes traitées par les Boutiques de Droit. En premier lieu, très souvent les usagers, notamment les populations défavorisées, ont de grandes difficultés pour formuler leur demande. Dans ce cas, l ?intervenant va d ?abord identifier le problème et, après une écoute attentive pourra construire des réponses. En deuxième lieu, les usagers ne viennent pas pour faire reconnaître leurs droits, mais pour demander une aide dans le cadre d ?une action engagée par un tiers contre eux. Ainsi, entre 20 et 30 % des demandes aux différentes Boutiques de Droit relèvent de problèmes de dette locative et de consommation. La demande fait alors appel à une véritable démarche d ?accompagnement en vue de parvenir à la résolution du problème. En troisième lieu, on trouve une autre catégorie d ?usagers, ceux qui ont l ?impression que l ?on n ?a pas respecté leurs droits. Ils viennent s ?informer sur la nature et l ?étendue de leurs droits ou sur les procédures pouvant être mises en ?uvre pour les faire respecter. C ?est particulièrement vérifié dans les affaires relatives aux contentieux de droit du travail, qui représentent plus de 20% en moyenne de l ?activité des Boutiques de Droit. Pour faire face à cette demande plurielle de droit, les Boutiques de Droit ont mis en place une méthodologie d ?intervention que l ?on peut résumer autour du concept de médiation. Dans son acception commune, la médiation est surtout perçue comme une technique de résolution des conflits mais les Boutiques de Droit ont une vision plus large de celle-ci et l ?étendent aux modes de communication dans un but de transformation sociale. II ? La médiation comme vecteur de transformation sociale La pratique des Boutiques de Droit constitue un vecteur de transformation sociale en privilégiant la médiation comme mode alternatif de résolution des conflits et en inscrivant les structures de médiation comme lieux de socialisation. La médiation, mode alternatif de résolution des conflits En se présentant comme une structure de médiation de quartier, l ?objectif des Boutiques de Droit est de construire un lieu autonome de régulation des conflits qui soit une réelle alternative au modèle actuel de régulation judiciaire des conflits. Le projet est d ?innover en mettant en place de nouvelles procédures faisant appel à des non-professionnels. Les médiateurs peuvent être amenés à intervenir sur demande des habitants ou bien sur orientation des parties en conflit vers les médiateurs par les travailleurs sociaux, les services de la mairie, de la police, les associations, les organismes HLM ou tout autre organisme privé ou public qui jugerait qu ?en raison de sa nature, le conflit peut être résolu par le biais de la médiation. Au cours de la permanence, le plaignant expose son problème et indique éventuellement des solutions à celui-ci. Après avoir pris connaissance du problème par le plaignant, les médiateurs invitent l ?autre partie à venir présenter son point de vue à la permanence suivante. Avec l ?accord des parties en conflit, une rencontre est organisée afin de rechercher, avec l ?aide des médiateurs, une solution à leur conflit. Les termes et les conditions de l ?accord sont fixés par les parties elles-mêmes. La démarche de médiation demeure une procédure volontaire et confidentielle. Le processus de médiation permet ainsi aux personnes de se réapproprier le conflit et de construire avec l ?aide des médiateurs leur propre solution. Il s ?agit donc de reconstituer des lieux de socialisation. Les structures de médiation, lieux de socialisation Ces structures de médiation ont pour objet, non pas de rendre la justice mais d ?insuffler du social, de susciter des actions visant à recomposer des formes de sociabilité à partir de la régulation de ces litiges. De l ?affirmation de ce principe découle l ?idée que les médiateurs doivent être des habitants du quartier et que pour les choisir, ne doivent pas être mis en avant des critères liés à une quelconque compétence professionnelle ou juridique. De telles structures de proximité, dépouillées de tout formalisme, faisant appel à une participation active des parties en conflit, permettent de résoudre dans de meilleures conditions ces conflits nés de la vie quotidienne. La médiation est particulièrement adaptée pour la résolution des conflits familiaux ou de voisinage car dans ce type de litiges, les parties sont appelées à se revoir, et il convient de privilégier une approche négociée de résolution des conflits afin de favoriser la reconstruction de leurs relations futures en partant de leurs besoins et non de normes abstraites : il s ?agit moins de déterminer qui a raison ou qui a tort, mais plutôt de rétablir la communication, de rechercher un nouvel équilibre afin de maintenir la cohésion sociale nécessaire à toute vie en commun. Le processus de médiation mis en ?uvre dans le cadre des médiations associe les parties à la construction d ?un droit ?spontané ?, appelé à prendre une place effective dans l ?édifice normatif respecté par les justiciables. La construction de ce droit ?spontané ?, que ce soit en matière locative ou de droit de la famille, se fait à partir de principes ou catégories tirés plus du vécu que de la logique juridique. Cette sous-culture juridique, dans le domaine de la vie quotidienne, en faisant appel à l ?équité, peut apparaître plus que nécessaire pour adapter ou compléter un droit trop formaliste, sclérosé ou inégalitaire. Au-delà de la pratique des Boutiques de Droit, le développement de la médiation dans l ?ensemble des champs de la vie sociale, de la famille au quartier, en passant par l ?entreprise, nous amène à nous interroger sur l ?évolution de nos sociétés vers une plus grande pluralité des systèmes juridiques.


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Mots-clés Demande de droit - Juridicisation - Justice - Lien social - Médiation - Permanence juridique - Transformation sociale -

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