De la formation à la mobilisation, 20 ans d\’expérience de la Red de Apoyo por la Justicia y la Paz Au Venezuela, des comités de droits humains




Au Venezuela, des comités de droits humains dans les quartiers populaires…

« Il est nécessaire de re-penser le droit qui n’est plus seulement une accumulation de lois abstraites et incompréhensibles pour la majorité de la société mais un outil au service de la citoyenneté. L’exercice du droit doit cesser d’être un facteur supplémentaire d’exclusion sociale pour devenir une opportunité de construire une nouvelle conscience politique. » Dans un ouvrage intitulé De l’indignation à l’implication, la Red de Apoyo por la Paz y la Justicia ( Réseau d’appui pour la Paix et la Justice) revient sur plus de 20 ans d’actions pour la promotion et la défense des droits humains dans les communautés populaires du Venezuela. Partie de l’attention aux victimes, la Red a réussi à travers des formations aux droits humains à impulser la création de comités communautaires de droits humains. Retour sur l’expérience de ce mouvement d’appropriation du droit à la base.

De l’assistance aux victimes à la constitution de comités autonomes pour la défense des droits humains

La Red de Apoyo por la Paz y la Justicia s’est constituée en 1989 pour assister les victimes des violences policières et militaires du Venezuela. Constatant que les habitants des quartiers populaires sont soumis de façon presque systématique aux excès de pouvoir de l’administration par manque de connaissance du droit, la Red a peu à peu mis en place des formations auprès des habitants de ces quartiers afin de les informer sur le droit et sur leurs droits. L’intention de la Red est de sensibiliser, diffuser, informer, former et ainsi de permettre la constitution d’une organisation collective nationale autour des droits. Les programmes de la Red de Apoyo sont orientés essentiellement vers la diffusion des droits humains dans les communautés à travers des ateliers de formation, des activités de sensibilisation lors de manifestations événementielles et l’élaboration de matériel éducatif. Plutôt que d’ouvrir des délégations dans tout le pays, la Red a délibérément fait le choix d’appuyer et de renforcer le mouvement pour les droits humains à partir des initiatives surgies des communautés. C’est ainsi que sont nés les comités communautaires de droits humains, le plus souvent constitués à l’issue des formations au droit mises en place par la Red dans les communautés. La Red a donc re-centré son activité sur la coordination d’un réseau national d’organisations communautaires de défense des droits. Désormais, elle appuie ces comités dans leur travail quotidien par des formations, la relecture de documents et l’appui aux activités de sensibilisation. Elle centralise l’information obtenue afin de faire des diagnostics nationaux sur la situation des droits humains.

L’expérience des comités de droits humains : de la diversité de la base au changement structurel

Les comités reflètent en quelque sorte une tentative de « décentralisation » du travail de la Red. Chaque comité est composé de personnes de la communauté et doit s’inscrire dans la spécificité de son contexte local. La Red espère ainsi pouvoir construire un mouvement national pour les droits humains où chacun des niveaux national, régional et local s’articulent entre eux et avec d’autres organisations qui travaillent plutôt sur des atteintes aux droits humains plus spécifiques. Les comités témoignent du fait que les droits humains ne sont pas une affaire de spécialistes mais qu’au contraire, chaque personne qui se sent concernée par la réalité de son environnement peut s’impliquer avec d’autres pour constituer une réponse à cette réalité, se former et aider les autres à se former, connaître ses droits et les faire respecter. En bref, être un activiste des droits humains. Les comités naissent dans un contexte particulier et concret : celui du quartier qui leur confère une identité spécifique. Leurs membres identifient eux-mêmes les problèmes vis à vis desquels ils veulent et peuvent agir. Il ne s’agit pas de répondre à toutes les nécessités ni de créer un comité pour chaque problème mais de définir la stratégie du comité en fonction de la mission qu’il s’est assignée. Cela dépend des possibilités d’action et du diagnostic que le groupe fait de la réalité. C’est face à cette réalité complexe qui interpelle le groupe que celui-ci s’organise pour agir.

Le comité, une possibilité d’influer sur son contexte quotidien par le droit

Certains comités sont spécialisés sur les questions de genre ou de violences urbaines, d’autres ont décidé de s’attaquer aux violences faites aux enfants et aux droits des mineurs. D’autres encore se sont organisés au niveau de leur territoire pour revendiquer des droits économiques et sociaux et réclamer la mise en place de services publics communautaires. Il y a aussi des comités qui agissent au niveau de la région ou de l’état pour renforcer les organisations communautaires. Ces comités sont plutôt intégrés par des professionnels, des étudiants ou des militants des droits. Tous les comités agissent à travers la formation et la sensibilisation et, quand ils en ont les moyens, à travers l’appui à la résolution des cas les plus emblématiques pour la communauté. Tous interpellent les pouvoirs publics à un moment ou à un autre pour revendiquer l’effectivité de leurs droits ou pour dénoncer les abus des forces de l’ordre. Informés des normes, des lois et des ordonnances qui encadrent les institutions publiques, les comités ont entrepris de contrôler l’action publique à tous les niveaux, des représentants immédiats aux plus élevés de l’Etat (Ministère public, Police, Commission législative régionale). L’effort de présentation, de transparence et les arguments fondés sur le vécu de la communauté ont permis aux comités de gagner la considération des pouvoirs publics. Certains comités sont parvenus à rompre des tabous, en dénonçant des violations de droits humains qui étaient presque devenues des pratiques courantes. Leur travail a souvent permis de rompre avec la loi du silence et d’exiger des comptes de la part des autorités. Souvent, grâce à l’action des comités, les communautés ont pu prendre conscience peu à peu qu’il faut s’organiser et adopter une attitude active au-delà de la simple élection des représentants de l’association du quartier. L’expérience de l’organisation des habitants a démontré que plus l’organisation des habitants se renforce, plus ses propres institutions se renforcent, en améliorant les conditions de vie de manière significative.

Au sein du comité…

De l’intérieur, il faut veiller au respect de la pluralité du groupe en tenant compte des aptitudes et des histoires personnelles de chaque membre afin d’unir ces histoires et ces forces pour conformer la « spécialité » du comité. Il faut aussi veiller au respect de la démocratie interne et incorporer toutes les personnes, même les plus récemment arrivées dans les processus de décision, d’action et de formation. La valeur d’un comité repose en grande partie sur la cohésion groupale, sur les liens établis pour remplir la mission définie qui sont des facteurs déterminants. Il est indispensable de reconnaître ses propres limites en tant que comité et de savoir chercher des appuis plus techniques ailleurs. Pour cela, la formation est fondamentale. Celle-ci peut avoir lieu à travers des voies formelles mais aussi à travers la recherche constante de sources d’information, à travers la participation à des forums, à des séminaires, à des ateliers ou en valorisant et en capitalisant l’expérience acquise sur le terrain. Il est essentiel de constituer des espaces de réflexion sur ses propres pratiques. La systématisation des expériences favorise l’échange avec d’autres groupes et permet d’articuler son travail au sein d’un réseau. Au-delà des complexités du travail en réseau, les synergies qu’il permet pour atteindre des objectifs communs valent l’effort. Dans cette perspective intérieure, deux questions reviennent souvent :

- l’institutionnalisation. C’est la pratique de l’organisation qui permettra le mieux de définir la forme que doit prendre le comité. La forme choisie doit s’accompagner d’un processus de planification, d’orientation et d’évaluation pour permettre d’éviter trop de dispersions dans le travail, tout en gardant une certaine souplesse.

- le financement des activités. La quasi-totalité des comités fonctionnent sur la base du volontariat de ses membres qui financent eux-mêmes leurs actions. L’engagement personnel permet de combler les carences économiques des comités mais la capacité d’action s’en trouve limitée. Il faut alors tenter de définir ensemble les possibilités de financement en commençant par les sources autogestionnaires et les ressources solidaires qui peuvent être fournies en nature par d’autres secteurs de la communauté. Il est essentiel que le financement n’entrave pas l’action du comité ni ne pervertisse la dynamique du groupe, les relations interpersonnelles ou ne change les motivations initiales des personnes.

Enfin, l’engagement vis à vis des personnes qu’on défend est déterminant. Pour générer des changements structurels dans la société, il est nécessaire de partir du cas par cas sans jamais perdre de vue l’objectif général qui est la justice pour tous et la suppression des situations d’exclusion et d’impunité. Il s’agit de voir comment se servir au mieux des mécanismes existants : les canaux réguliers, les instances prévues par les lois mais aussi de savoir faire preuve d’imagination et de créativité pour élaborer des stratégies de pression : utiliser les moyens de communication, les actions de rues telles que les manifestations, les marches, etc…

Dénoncer avec courage et persister dans le suivi de la dénonciation

Finalement, il reste encore de nombreux efforts à faire pour consolider le travail des comités : créer de nouveaux comités dans d’autres quartiers, d’autres régions ; renforcer les comités déjà existants et continuer à approfondir leur formation ; maintenir des objectifs clairs et partagés formulés à partir des contextes locaux ; maintenir une attitude fraternelle et ouverte au débat au sein des comités, développer les capacités d’analyse et de proposition au-delà des contextes locaux ; permettre la formation d’une conscience critique au niveau national et global. La Red veille à ne jamais perdre de vue la nécessité de valoriser le travail quotidien et concret à partir duquel elle établit un agenda commun en faveur de transformations structurelles. La Red a appris de ce processus de « décentralisation » à respecter l’autonomie des comités comme des espaces d’organisation distincts, auteurs de leurs initiatives et responsables de ce qui se passe en leur sein. Au long de ces années d’expérience, la Red a pu évoluer et concilier les différentes représentations des droits humains qui caractérisent la diversité des comités. Il est nécessaire de créer un dialogue entre les organisations, dont la culture est fortement marquée par la planification, l’efficacité, le contrôle et les communautés populaires, dont la culture est souvent basée sur des relations sociales préétablies, des liens affectifs forts et des contraintes temporelles particulières.


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Mots-clés Comité d’action - Communauté - Droit-citoyenneté - Education juridique - Matériel pédagogique juridique - Mobilisation communautaire - Organisation communautaire -

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